© Anne Kraume
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Nouveaux savoirs du monde/Savoirs du Nouveau Monde: encyclopédisme, processus de traduction et réorganisation du savoir au siècle des Lumières

Colloque international, Université de Regensburg, 12–14 octobre 2023

Organisation : PD Dr. Susanne Greilich (Regensburg), Prof. Dr. Hans-Jürgen Lüsebrink (Université de la Sarre)

Les connaissances géographiques et anthropologiques sur les pays d’Europe et sur le monde extra-européen revêtent une importance particulière au cours du long XVIIIe siècle. Au-delà de l’intérêt général des Lumières pour le savoir en tout genre, il faut comprendre ce phénomène d’une part dans le contexte des intérêts politiques, notamment coloniaux et commerciaux, et d’autre part au regard de l’importance des cultures extra-européennes (la Chine, les Empires inca et aztèque, la Perse, l’Inde, l’Empire ottoman, etc.) pour la réflexion philosophique tant sur l’ordre du monde extra-européen que sur les sociétés européennes. Les œuvres encyclopédiques au sens large du terme, telles que les collections de voyage (par exemple l’Histoire générale des voyages de Prévost), les œuvres d’histoire coloniale (l’Histoire des deux Indes de Raynal) et les dictionnaires universels et spécialisés (l’Encyclopédie de Diderot/D’Alembert, le Dictionnaire géographique portatif de Ladvocat), rassemblaient et organisaient les connaissances correspondantes et les mettaient à la disposition d’un public plus large.

Il n’est pas rare que ces ouvrages soit devenus des best-sellers très appréciés, traduits dans différentes langues européennes : c’est le cas du dictionnaire géographique de Ladvocat, basé sur le Gazetteer’s or Newsman’s Interpreter anglais de Lawrence Echard, qui a été traduit, en partie à plusieurs reprises, du français vers l’italien, l’espagnol, l’allemand et le polonais. Le savoir géographique et anthropologique circulait donc d’une part dans un espace transnational et transculturel qui s’étendait sur l’ensemble du continent européen et jusqu’en Amérique. D’autre part, les savoirs subissaient, au cours de leur traduction, une correction et un élargissement qui concernaient en particulier la géographie de la culture cible, vers laquelle ou pour laquelle l’œuvre respective était traduite: «con muchas correcciones y addiciones, por lo que mira a España» («avec de nombreuses améliorations et additions, concernant l’Espagne»), note par exemple la page de titre de l’édition espagnole du dictionnaire de Ladvocat (1750).

Au-delà des aspects de l’aemulatio du texte-source ou du self-fashioning du traducteur, ces processus renvoient à l’évolution épistémologique au cours du long XVIIIe siècle. Le témoignage oculaire et l’empirisme ont pris de plus en plus d’importance, notamment dans le contexte des connaissances géographiques et anthropologiques. Cela a entraîné des changements en ce qui concerne les producteurs de connaissances. Le savoir empirique est entré en concurrence avec les procédés philologiques et de compilation des ‘géographes en fauteuil’ (‘armchair philosophers’). Dans le contexte de la géographie et de l’anthropologie des pays du monde extra-européen, la perspective de l’‘Autre’ extra-européen a été de plus en plus prise en compte. La réédition et la nouvelle édition des Comentarios Reales de Garcilaso Inca, parus 150 ans plus tôt, au milieu du XVIIIe siècle, doivent être considérées dans ce contexte, tout comme le ‘débat de Berlin’ sur le Nouveau Monde dans la deuxième moitié du siècle ou les adaptations de genres de savoir européens tels que les dictionnaires géographiques spécialisés ou les ‘bibliothèques’ (bibliographies nationales et spécialisées) dans l’espace américain.

Pour les jeunes nations, respectivement les régions de l’Amérique du Nord, centrale et du Sud au seuil de l’indépendance, la publication de compendiums géographiques s’est finalement développée parallèlement à des processus d’autonomisation par rapport à la métropole coloniale (respectivement à l’ancienne métropole), à la prise de parole et au développement d’un espace de connaissances national autonome. Des publications telles que l’American Gazetteer de Jedidiah Morse (1797) ou le Diccionario geográfico-histórico de América d’Antonio de Alcedo (1786–89) peuvent en outre être considérées comme des publications centrales parmi les encyclopédies qui mettaient à la disposition des lecteurs et lectrices un «savoir d’orientation national» («Nationales Orientierungswissen», Prodöhl 2011). Morse justifie ainsi son travail: «So imperfect are all the accounts of America hitherto published, [...] that from them little knowledge of this country can be acquired. Europeans have been the sole writers of American Geography, and have to often [...] led their readers into errors [...]. But since the United States have become an independent nation and have risen into Empire, it would be reproachful for them to suffer this ignorance to continue», (American Geography, 21792, p. IV).

Le colloque se propose d’approfondir ces aspects à partir d’études de cas qui porteront sur des ouvrages encyclopédiques d’orientations et d’aires culturelles différentes.

Programme

Jeudi, 12 octobre 2023

13h30     Ouverture du colloque – bienvenue

14h00     Susanne Greilich (Regensburg) / Hans-Jürgen Lüsebrink (Saarbrücken): Nouveaux savoirs du monde/savoirs du Nouveau Monde – Introduction thématique

I Où est l’Amérique ? : Le Nouveau Monde dans les ouvrages encyclopédiques et les débats philosophiques

14h45     Diego Stefanelli (Mainz): L’article « Amérique » dans les œuvres encyclopédiques des premières décennies du 18e siècle (Moreri, Baudrand, Corneille, De la Martinière). Sources et structures des savoirs sur le Nouveau Monde

15h30     Pause café

16h00     Clorinda Donato (Long Beach): Navigating America in Translation: A Digital Humanities Analysis of the Representation of the Continent in Eighteenth-Century Encyclopedias

16h45     Lise Roy (Montréal): Le Canada dans l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke : terre de violence et de liberté

17h30     Linda Gil (Montpellier): Savoirs et représentation des mondes américains dans l’Encyclopédie : le cas du Pérou

Vendredi, 13 octobre 2023

9h00     Carla Dalbeck (Berlin): Le voyage des savoirs sur le Nouveau Monde de l’Italie à l’Amérique du Sud : Le cas du Dizionario storico-geografico dell’America meridionale de Giandomenico Coleti

9h45     Franck Salaün (Montpellier): Le Brésil dans l’Histoire des deux Indes : entre savoir encyclopédique et instrumentalisation géopolitique

10h30     Pause café

II Épistémologies : de la « géographie au fauteuil » à l’empirisme

11h00     Olivier Contensou (Québec): L’empirisme logique et paradoxal de Cornélius de Pauw

11h45     Anne Kraume (Konstanz): Le Nouveau Monde : un essai. Genre et savoir dans les textes des Jésuites sur l’Amérique de la fin du XVIIIe siècle

12h30     Déjeuner

14h30     David Diop (Pau) : Accueillir les savoirs du monde : la langue de l’Autre dans l’Histoire Naturelle de Michel Adanson

15h15     Hanco Jürgens (Amsterdam) : Translating India : How renewed European interest in ancient Indian texts became standard knowledge in European encyclopaedias

16h00     Pause café

16h30     Anguélina Vatcheva (Sofia): L’image de la Sibérie dans l’Antidote de Catherine II. Transferts de savoirs et controverses dans les interprétations

Samedi, 14 octobre 2023

III Traductions et évolution du savoir en contexte transculturel

9h00     Stéphane van Damme (Paris): Frontières de l’encyclopédisme français ? Traduire et lire les voyageurs du doute à New York au XVIIIe siècle

9h45.    Dorothee Schaab-Hanke (Bamberg): Jesuit Knowledge on China Collected in Du Halde’s Description de la Chine and its Transformations in Translations and Other Works

10h30     Pause café

11h00     Beatrice Nickel (Bochum): Réécriture de nouveaux savoirs : Lahontan en Allemagne

11h45     Discussion finale – Clôture du colloque